Les héro·ïne·s du quotidien : Farah Ramzy, lauréate du prix de la chancellerie 2020 pour sa thèse

« C'est une étude sur l’Egypte, mais aussi une étude de science politique qui essaie de décloisonner la recherche sur la région Moyen-Orient, Monde arabe et donc de sortir de la spécificité souvent attribuée à cette région. »

Publié le 23 mars 2021 Mis à jour le 12 mai 2021

La décennie passée en Égypte a connue de nombreux bouleversements politiques et espoirs. Les formes et les acteurs de politisation dans les universités publiques égyptiennes se sont transformées. Ce sont ces évolutions que Farah a examiné dans sa thèse "Renégocier le politique sur le campus : engagement étudiant en Egypte post-2011".

Dans cet entretien, Farah Ramzy revient sur la thèse qu'elle a élaboré au sein de l'Université Paris Nanterre, dans l'Ecole doctorale Droit et Science Politique (ED 141 )




L’équipe Point Commun : Bonjour, merci d’avoir accepté de répondre à nos questions. Pour commencer... toutes nos félicitations ! Et ensuite, pouvez-vous présenter votre parcours académique mais aussi le cheminement personnel qui vous a fait choisir ce métier ?

Farah Ramzy :
J’ai commencé mes études en science politique à l’université du Caire, dans un moment de transformation politique et de mobilisation sociale qui a suscité mon intérêt pour la sociologie politique, notamment la sociologie de l’engagement. Je suis partie en France en 2012 munie d’une bourse du gouvernement Français pour poursuivre mes études de Master 2 à l’Université Paris-Nanterre où j’ai enchaîné mes études de doctorat à l’ED dsp en cotutelle avec l’Université de Lausanne.



Votre thèse "Renégocier le politique sur le campus : engagement étudiant en Egypte post-2011." s’est vue décernée le prix de la Chancellerie 2020 (ndlr : quelle fierté !). Pouvez-vous nous expliquer plus en détail les enjeux de cette problématique ?

Farah Ramzy : Ma recherche doctorale s’intéresse aux transformations des formes et des acteurs de politisation dans les universités publiques Égyptiennes. Au cœur de ma problématique est l’enjeu de la définition de la politique et le repérage du politique. C'est une étude sur l’Egypte, mais aussi une étude de science politique qui essaie de décloisonner la recherche sur la région Moyen-Orient, Monde arabe et donc de sortir de la spécificité souvent attribuée à cette région.
Je retrace alors concrètement le processus de politisation dans les récits des acteurs et leurs pratiques, pour identifier comment le fait d’être étudiant en Égypte produit des manières spécifiques de dire et de faire la politique (et le politique). Cette recherche a été effectuée dans un régime autoritaire sur une période marquée par deux changements de régime successifs (en 2011 et en 2013). Le contexte m’a permis de mettre en avant les reconfigurations politiques et économiques dans la société, notamment dans une situation de répression politique.


« Dans un va-et-vient entre terrain et dialogue avec la littérature, elle a produit une problématisation fine. Sans succomber à la tentation d’étouffer son terrain en plaquant des théories toutes faites. » 

Mounia Bennani-Chraïbi - Professeure à l’Université de Lausanne.


Concrètement, comment avez-vous mené ce travail et pendant combien de temps ? Quels ont été vos outils et méthodes ?

Farah Ramzy : Ma recherche se base sur une enquête ethnographique réalisée entre 2013 et 2015 au Caire et dans plusieurs gouvernorats, suivie par une période l’analyse (2016) et d’écriture (2017-été 2019).
L’enquête, qui mêle 86 entretiens individuels semi directif, une dizaine entretiens collectifs et de maintes moments d’observations, s’articule à une sociohistoire du système d’enseignement supérieure et des mouvements sociaux , pour contribuer par des éléments empiriques et des réflexions théoriques à l’analyse des transformations politiques, économiques et sociales de l’Egypte dans les deux dernières décennies mais surtout depuis 2011.

  • La thèse est disponible dans la BU de Nanterre et bientôt sur le catalogue électronique de l’université.
  • Sinon, toutes mes publications sont disponible sur Academia : https://u-paris10.academia.edu/FarahHany

Sophie Duchesne, co-directrice de cette thèse, politiste - Directrice de recherche au CNRS :

Le travail de terrain que Farah a mené est assez exceptionnel. Elle a pu suivre et se faire raconter, par de nombreuses étudiants et étudiantes égyptien.nes, engagé.es, de façon très différente, contestataires mais pas seulement, ces années si importantes qu'ont représentées pour ces jeunes celles qui ont suivi la révolution en 2011. Elle en rend compte avec beaucoup d'empathie, mais aussi beaucoup de subtilité, en ne cherchant pas à créer artificiellement de la cohérence. Au contraire, elle analyse avec finesse leurs difficultés à assumer l'héritage d'une révolution qui n'aura pas duré longtemps. C'est un très beau travail.

Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser aux transformations des modes d’action politique des étudiants des universités Égyptiennes ? Quels sont les sujets que vous aimeriez creuser à l’avenir ?

Farah Ramzy : Mon expérience à l’Université du Caire au moment de la révolution de 2011 j’étais en troisième année donc j’ai pu comparer le contexte avant et après, et donc j’ai posé la question de comment l’université est un lieu privilégié de politisation.
La recherche pour la thèse m’a orientée aussi vers une étude de l’histoire de l’enseignement supérieur comme miroir des transformations sociales. Je souhaite alors poursuivre cette thématique, d’une part par un projet sur la topographie sociale de l’enseignement supérieur dans le monde arabe, et d’autre part par un projet sur les transformations des pratiques sociales et politiques des classes moyennes supérieures en Egypte.





Vous avez mené ce travail sous la cotutelle des universités de Lausanne et de Paris Nanterre, quelles implications celle-ci a-t-elle eu ?

Farah Ramzy : La cotutelle implique une affiliation à deux universités, en plus d’une reconnaissance de la thèse dans deux systèmes universitaires, un double accès privilégié aux ressources mises à dispositions des étudiants (activités scientifiques, soutien financier à la recherche, réseaux de contacts, …).
Pour moi, l’avantage aussi était de pouvoir travailler avec deux co directrices, Sophie Duchesne, directrice de recherche au CNRS et Mounia Bennani-Chraïbi, professeure à l’Université de Lausanne.


Mounia Bennani-Chraïbi, co-directrice de cette thèse, attire notre attention sur les aspects qui ont été déterminants dans l’obtention de ce Prix :

Tout d’abord, Farah a collecté des données d’une grande richesse (entretiens, observation, documents textuels et visuels, traces numériques). Pourtant, l’accès au terrain n’était pas du tout aisé.
Ensuite, elle a construit son objet de manière à saisir dans un même mouvement la pluralité des activités estudiantines et les différentes formes de politisation des étudiants. Dans un va-et-vient entre terrain et dialogue avec la littérature, elle a produit une problématisation fine. Sans succomber à la tentation d’étouffer son terrain en plaquant des théories toutes faites.

Et puis… Elle a fait preuve de superbes dispositions : une curiosité intellectuelle sans borne, de la réflexivité, beaucoup de détermination, et une impressionnante capacité à prendre en compte les remarques de ses relectrices et relecteurs.


Vous avez préparé cette thèse au sein de l’École doctorale DSP de l’Université Paris Nanterre, pouvez-vous nous expliquer ses spécificités ?

Farah Ramzy : Je peux parler plutôt de mon expérience, outre le fait que je dois le financement des trois premières années de la thèse au contrat doctoral de l'ED dsp, l’école doctorale présentait tout sorte de soutien (administratif et parfois financier pour participer à des conférences) , en plus de la diffusion régulière d’information sur le métier de la recherche et les actualités scientifiques. Là je dois aussi parler de mon laboratoire d'accueil, l’Institut des Sciences Sociales du politique (ISP) où, en plus des activités de la recherche, j’ai aussi trouvé du soutien administratif et financier.

Le site de → L'ED 141 : Ecole doctorale Droit et Science Politique


« Elle en rend compte avec beaucoup d'empathie, mais aussi beaucoup de subtilité, en ne cherchant pas à créer artificiellement de la cohérence. » 

Sophie Duchesne, co-directrice de cette thèse, politiste - Directrice de recherche au CNRS.

Comment se poursuit votre carrière ? Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?

Farah Ramzy : Je souhaite poursuivre une carrière d’enseignante-chercheuse en science politique. Actuellement je finis ma deuxième année d’ATER (attaché temporaire d’enseignement et de recherche) et puis l’année prochaine je serai en post-doc dans le programme Max Weber à l’Institut Universitaire Européen de Florence, après je vais candidater pour des postes de MCF partout.

 


Mis à jour le 12 mai 2021